Le monde des symboles, leurs descriptions et interprétations à travers les âges et les civilisations. Dictionnaire évolutif et entièrement gratuit.
Le boiteux est bancal. Boiter est le contraire de marcher droit. Le boiteux marche de travers, à moins qu’il ne se serve d’un bâton pour rétablir l’équilibre.
Le Sphinx posa cette énigme à Œdipe : « Qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi, et à trois pattes le soir ? ». Œdipe répondit : « l’homme » et c’était effectivement la bonne réponse. Enfant, il se traîne à quatre pattes, puis il marche sur ses deux pieds, et, à la fin de sa vie, l’homme vieux et infirme s’aide d’une canne. Comme le boiteux, le vieillard est bancal, il a besoin d’une troisième jambe pour avancer droit. Ces trois « jambes » sont à rapprocher du symbolisme du Trépied, du Caducée, et des Trois Piliers maçonniques (à ne pas confondre avec les deux colonnes d’airain). Tous sont des représentations symboliques de l’affrontement de deux forces contraires équilibrées par une troisième force qui stabilise l’ensemble.
Les mythes
Les mythes antiques mettent en scène des héros et des dieux boiteux. Dionysos, Héphaïstos, Harpocrate boitent. Jason dans sa quête de la Toison d’or, devient boiteux en perdant sa sandale gauche après avoir aidé Héra déguisée à traverser une rivière en crue. Héra, en échange, lui accorda sa protection [1]. Œdipe boite également, et il est fils d’un gaucher et petit-fils d’un boiteux [2]. Héphaïstos (Vulcain pour les Latins) est décrit dans l’Iliade (XVIII, 412) comme un être monstrueux, laid et bancal. Il est forgeron. Il possède la connaissance du Feu intérieur — donc de l’alchimie —. Il est devenu boiteux après un corps à corps avec Zeus, son père, qui le précipita hors de l’Olympe, sur la terre. Héphaïstos devint le maître du feu, maître de la Forge. De la matière brute, le fer informe et disgracieux, et à l’aide du feu dont il possède le secret depuis son combat et sa chute, il façonne des armes admirables, des glaives, des sceptres et des boucliers pour les dieux. L’estropié, le difforme, se reconstruit lui-même quotidiennement dans le monde souterrain où couve le feu sacré.
Héphaïstos, lorsqu’il est sous terre, symbolise le soleil d’hiver dont la plus grande partie de sa course se situe sous la ligne d’horizon. « En symbolique, boiter, c’est être faible, c’est finir ou commencer » [3]. Le soleil devient faible à partir du solstice d’été jusqu’au solstice d’hiver qui est la nuit la plus longue de l’année. Alors, jeune nouveau-né, le soleil commence sa course ascendante et, de plus en plus fort, il culmine au solstice d’été, dernier jour avant sa lente descente hivernale.
Judéo-christianisme
L’affrontement des deux forces antagonistes évoqué plus haut, est également illustré par un épisode de la Genèse (Genèse 32, 24-32), dans lequel un homme lutte dans un corps à corps d’une extrême violence avec Jacob jusqu’au lever du jour. Constatant qu’il ne peut le vaincre, l’homme frappe Jacob à l’emboiture de la hanche et celle-ci se démet. Jacob devient boiteux. En fait, c’est Dieu qui est descendu sur terre sous une forme humaine. Après le combat, il donne à Jacob le nom d’Israël. Dans les textes vétéro et néotestamentaires, le changement de nom intervient toujours après une initiation ou une élection. Jacob est l’élu de Dieu, comme Simon est l’élu du Christ dans les évangiles. A cette occasion, Simon prend le nom de Képhas — Pierre —. Dans la Genèse, l’initiation de Jacob s’accompagne de la vue du visage de Dieu — une transgression en quelque sorte —. Le prix à payer pour avoir dérober par la force (le combat) la Connaissance, est la claudication.
Le Talmud et les Toledoth Jechou rapportent que Jésus boitait [4]. Il se serait estropié en essayant de voler. Robert Graves, dans son livre Le Roi Jésus, suggère l’hypothèse que cette tradition serait en fait « une allusion à une cérémonie secrète du couronnement sur le Mont Thabor. Jésus y serait devenu le nouvel Israël après avoir été rituellement rendu boiteux au cours d’une lutte » [5]. Il est donc le successeur de Jacob dans la nouvelle alliance. De même qu’Israël eut douze fils, chefs des douze tribus, le Christ choisit douze apôtres (les Douze) pour lui succéder.
En outre, il semble que le dieu des Hébreux IHVH ait été identifié dès l’antiquité avec Dionysos Sabazius, un dieu qui boite aussi [6].
Selon une croyance populaire, le diable serait boiteux. Le diable est de double nature, du ciel — c’est un ange déchu — et du monde infernal. Il possède les deux forces antagonistes en lui, ce qui le rend boiteux au mettre titre que Vulcain / Héphaïstos.
Initiation
Selon Marguerite Loeffer-Delachaux, un personnage boiteux dans un mythe, un conte ou un récit initiatique désigne toujours :
— En symbolique exotérique : le pâle soleil du début ou de la fin de l’année.
— En symbolique ésotérique : le moment où le futur initié commence ou termine un cycle initiatique [7].
La Descente aux Enfers décrite par Apulée en est l’illustration la plus citée. On peut y lire :
« Quand une bonne partie de la route infernale sera faite, tu rencontreras un âne boiteux chargé de fagots et un ânier qui boite comme lui. » [8]
En Franc-maçonnerie, le Profane est déchaussé du pied gauche pour être mis en état de boiter. Il va en boitant jusqu’à ce qu’il soit reconnu Apprenti [9].
Dans le monde
Nous retrouvons la symbolique de la boiterie ou de la claudication dans toutes les parties du monde, sous des formes diverses comme par exemple, des danses à pas boités. Selon Curt Sachs, elles auraient pour origine la Chine antique [10]. M. Loeffler-Delachaux rapporte cet autre exemple particulièrement significatif : Au Siam, chaque année, on nommait pour trois jours une sorte de « ministre de l’agriculture » qu’on appelait le Roi Bancal et qui était Seigneur des Armées célestes. Pendant une cérémonie qui durait trois heures, il devait se tenir sur une seule jambe sans tomber ni poser le second pied à terre, en quel cas, il était dépouillé de ses biens et sa famille entrait en esclavage. Ce roi bancal avait pour mission de rappeler aux agriculteurs que labourage et semailles doivent s’accomplir sous le règne du soleil déclinant, donc boiteux [11].
Exclusion
Certains ordres religieux catholiques n’acceptent pas les boiteux ni ceux qui présentent une déficience physique commençant par la lettre B [12]. Au XVIIIe siècle, ce sont les Francs-maçons qui reprennent cette règle des B (B comme bancal, bâtard, bègue, bigle, boiteux, borgne, bossu, bougre). Les infirmités physiques seraient perturbatrices du psychisme et constitueraient un obstacle à l’initiation [13].
Les rêves
Dans les rêves, la boiterie symbolise l’exclusion, la solitude, mais aussi l’ombre, les éléments insolites, inadaptés de notre personnalité [14].
Articles connexes
Notes et références
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[1] Roger Richard, Dictionnaire maçonnique, Dervy, Paris, 2002, p. 72.
[2] Henry Lenormand, Dictionnaire des symboles universels, Dervy, Paris, 2005, tome 1.
[3] Marguerite Loeffler-Delachaux, Le Cercle, un symbole, Editions du Mont-Blanc, Genève, p. 23.
[4] Robert Graves, La Déesse blanche, édition du Rocher, Monaco, 1979, p. 388.
[5] Ibid.
[6] Ibid. p. 389. En témoignent : Plutarque (Questions autour de la Table) ; Tacite (Histoire V, 5) ; l’historien Valerius Maximus.
[7] Marguerite Loeffler-Delachaux, op. cit. p. 24.
[8] Ibid.
[9] Roger Richard, Dictionnaire maçonnique, op. cit. p. 71.
[10] Curt Sachs, Histoire de la danse, Gallimard, Paris, 1938, p. 76.
[11] Marguerite Loeffler-Delachaux, op. cit. pp. 24-25.
[12] Henry Lenormand, Dictionnaire… op. cit.
[13] Roger Richard, Dictionnaire maçonnique, op. cit. p. 49.
[14] Nadia Julien, Dictionnaire des symboles, Marabout (Belgique), 1989.