Le monde des symboles, leurs descriptions et interprétations à travers les âges et les civilisations. Dictionnaire évolutif et entièrement gratuit.
L’ouroboros est l’emblème de l’éternel retour et du caractère cyclique du temps. Son symbolisme rejoint celui du phénix qui renaît constamment de ses cendres. Il est un symbole très ancien, attesté en Mésopotamie, en Egypte, en Europe, en extrême Orient.
(Eternité, continuité de la vie, totalité de l’univers, cercle dynamique, roue.)
Etymologie
Ouroboros viendrait du copte ouros qui signifie « roi » et de l’hébraïque ob, qui veut dire « serpent » [1]. Louis Charbonneau-Lassay nous en donne une autre étymologie. Le terme viendrait du grec oura, qui signifie « queue », et de boros qui signifie « dévorant » ou « qui dévore » [2]. Ouroboros serait donc le Roi-Serpent pour l’un, et pour l’autre, une simple description de sa représentation, "le serpent qui se mort la queue".
Origines
Avant de concevoir un temps linéaire, avec un début (la Création) et une fin (Le Jugement dernier), les anciens l’ont compris (le temps) dans sa forme cyclique. Dans la préhistoire puis dans l’antiquité, les événements liés au temps cyclique (naissance-mort-renaissance) étaient en réalité perçus ou imaginés comme des lieux. Les humains venaient au monde à la surface de la terre ; à leur mort, ils étaient rendu à la déesse-terre ; elle les régénérait à l’intérieur de ses entrailles et ils renaissaient par la réincarnation. Dans les temps les plus reculés, la Déesse est auto-génératrice, mâle et femelle [3], comme l’ouroboros. Le serpent est une figure de la déesse chtonienne, mère des vivants et des morts. Les divinités du ciel n’interviennent pas dans la procréation, ni dans la régénération. Ciel et Terre sont séparés. Entre-les deux — à la surface de la terre — vivent les humains, les animaux, la végétation. La surface de la terre est le lieu de l’incarnation végétale, animale et humaine. Plus tard, les divinités ouraniennes (du ciel) se marient avec les divinités chtoniennes (de la terre profonde, qu’on nommait autrefois les Enfers). La surface de la terre est poreuse ; les dieux et déesses circulent librement entre les deux pôles, céleste et terrestre.
D’un point de vue astronomique géocentrique, le soleil se lève à l’Est, se déplace en arc de cercle vers l’Ouest où il meurt (il disparaît sous la surface de la terre, ou de la mer, c'est-à-dire dans les profondeurs de l’inconscient, pour être régénérée par la Grande Mère), puis ressuscite à l’aube suivante, à l’Est. Il a effectué un cercle (cycle) complet en vingt-quatre heures. Symboliquement, on représente ce cycle par l’ouroboros, le serpent qui se mord la queue. Il encercle l’œuf cosmique qui contient la totalité de l’univers. Le cercle, le globe, l’œuf sont des images de la totalité de l’univers, mais aussi de l’homme psychique (cf. C. G. Jung, Marie-Louise von Franz).
« Entrainant le mouvement des astres, il (l’ouroboros) est sans doute la première figuration, la mère du zodiaque » [4]. Pourtant privé de membres propulseurs, il se meut avec une rapidité étonnante, due à une « suite d’ondulations latérales et propulsives » [5]. C’est cette puissance intérieure qui le fit prendre par les Egyptiens « comme l’image du mouvement cosmique, de la marche des astres dans l’espace, et conséquemment de la course du temps et de la succession non interrompue de ses phases [6].
Contrairement au cercle figé et au disque, le serpent qui se mord la queue, s’il représente le temps cyclique, il peut néanmoins avancer de façon linéaire, lorsqu’il dévale une pente, par exemple. La roue ne fait pas que tourner sur elle-même. Quand elle touche le sol, actionnée par une force qui lui est extérieure, elle le pousse (le sol) vers l’arrière, ce qui la propulse en avant. Le cercle, qui représente le Tout, se déplace d’arrière en avant, c’est-à-dire du passé vers l’avenir, il avance dans l’espace et le temps. Le symbolisme de l’ouroboros rejoint alors celui du caducée.
L’idée d’immortalité du serpent vient s’en doute du fait qu’il change régulièrement de peau ; il « rajeunit », terme qui signifiait aussi « se renouveler » et même « ressusciter » [7]. Tertullien en parle ainsi : Le serpent change sa peau à l’âge qu’il tient de la nature. Aussitôt qu’il a pressenti la vieillesse, il s’enferme dans un passage étroit, y laisse une peau ridée en même temps qu’il s’y glisse, et, dépouillé de lui-même dès l’entrée, ne sort de sa caverne que brillant et rajeuni [8].
Mythologie
Dans la mythologie gréco-romaine, l’ouroboros est l’attribut de Saturne, fils de Cœlus, dieu du temps appelé par les Grecs Chronos. Il est représenté sous l’aspect d’un vieillard qui tient une faux dans la main droite et de la gauche l’ouroboros, car dans la continuité du temps, le dernier jour du mois rejoint le premier jour du mois suivant. De même, d’une année à l’autre et sans discontinuité, le premier mois de l’année suit le dernier mois de l’année précédente, de la même façon que se rejoignent la tête et la queue de l’animal. Son symbolisme rejoint celui de Janus bifron, représenté par deux visages opposés, l’un jeune, tourné vers l’avenir, l’autre, vieux, tourné vers le passé.
Chez les Egyptiens, c’est l’anneau qui unit les quatre divinités cosmiques : Seth, Isis, Osiris, Horus.
Esotérisme chrétien
Le christianisme reprend le schéma utilisé des siècles plus tôt (voire des millénaires) par d’autres divinités plus anciennes qui meurent et ressuscitent telles que Dionysos, Osiris, Adonis, Tammuz.
L’ouroboros est une figure du Logos. « Je suis l’alpha et oméga, le commencement et la fin » dit le Christ.
Le cycle christique se décline en quatre temps :
1 – L’Incarnation : le Verbe de Yahvé descend du ciel sur la surface de la terre (naissance, vie de Jésus).
2 – La Mort : le Christ de chair meurt. Il est enseveli et descend aux Enfers.
3 – La Résurrection : le troisième jour, il ressuscite, c’est-à-dire qu’il remonte à la surface de la terre dans un corps glorieux.
4 – L’Ascension : le Christ remonte au ciel, vers le Père, c’est-à-dire de là où il était descendu. Le cercle est fermé.
L’ouroboros durant le Moyen Âge, est un emblème de l’initié, dans les milieux religieux et dans certaines confréries laïques. Il fut le « symboles des révélations successives de la science, de la connaissance réservée à l’Elite, et du silence qui s’impose à l’initié » [9]. A la Renaissance, ce symbole rencontre beaucoup de succès, notamment grâce au néoplatonisme de Pic de Mirandole et de Marsile Ficin. On retrouve le motif au revers des médailles à l’effigie des princes et des seigneurs. L’image symbolisait leurs qualités morales, intellectuelles et politiques [10].
Alchimie
L’acte de se mordre la queue illustre le principe de l’autofécondation [11]. Il s’inocule le feu par les crochets de sa gueule, à sa queue. Il est mâle et femelle et s’apparente symboliquement à l’Hermaphrodite qui est le rebis des alchimistes.
Chez les alchimistes des premiers siècles de l’Empire romain, l’ouroboros est un symbole de l’Œuvre qui n’a ni commencement, ni fin. L’Ouroboros est un gardien du Temple de la Connaissance. Il est aussi l’emblème du principe actif, la tête, et du principe réceptif, la queue, régénérée par la tête [12].
Marcelin Berthelot dans ses Origines de l’alchimie [13], nous dit :
Le serpent qui se mort la queue était adoré à Hiérapolis en Phrygie, par les naasséniens secte gnostique à peine chrétienne. Les ophites, branche importante du gnosticisme, comprenaient plusieurs sectes qui se rencontraient en un point, l’adoration du serpent, envisagé comme le symbole d’une puissance supérieure ; comme le signe de la matière humide, sans laquelle rien ne peut exister ; le ciel comme l’âme du monde qui enveloppe tout et donne naissance à tout ce qui est, le ciel étoilé qui entoure les astres ; le symbole de la beauté et de l’harmonie de l’univers. Le serpent ouroboros symbolisait donc les mêmes choses que l’œuf philosophique des alchimistes. Le serpent était à la fois bon et mauvais. Ce dernier répond au serpent égyptien Apophis, symbole des ténèbres et de leur lutte contre le soleil.
Un manuscrit byzantin du XIe siècle présente, au chapitre de la Chrysopée de Cléopâtre, un ouroboros enclavant l’inscription En to pan « le Tout en Un » [14] ou « Un le Tout ».
En alchimie pratique, l’ouroboros est l’hiéroglyphe de la dissolution des corps par la fermentation [15].
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Notes et références
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[1] Impelluso, Lucia ; Battistini, Matilde, Le livre d’or des symboles, Hazan, Paris, 2012, p. 10.
[2] Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, Albin-Michel, Paris, 2006, p. 803.
[3] Cf. Gimbutas, Marija, Le langage de la déesse, Des femmes, Paris, 2005.
[4] Chevalier, Jean ; Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des symboles, Laffont / Jupiter, Paris, 1982, p. 869.
[5] Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, op. cit. p. 804.
[6] Ibid.
[7] Pierdat, Catherine, L’Île Sacrée, RDM, Villeurbanne, 2011, pp. 204-205.
[8] Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, op. cit. p. 804.
[9] Ibid. p. 812.
[10] Impelluso, Lucia ; Battistini, Matilde, Le livre d’or des symboles, op. cit. p. 10.
[11] Belfiore, Jean-Claude, Croyances et symboles de l’Antiquité, Larousse, Paris, 2010, p. 931.
[12] Ibid.
[13] Berthelot, Marcelin, Les origines de l’alchimie, Paris, 1885, p. 62-63.
[14] Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, op. cit. p. 806.
[15] Ibid. pp. 808-809.